Jackie’s day fifteen

En attendant l’avion, je vais te raconter notre journée d’hier, la dernière visite de notre aventure grecque 2019.

Comme il a fait étouffant durant la nuit malgré les fenêtres ouvertes, on s’est réveillés plusieurs fois et on a bâché à 6 heures. J’avais l’idée que, plutôt de se faire un petit-déjeuner express dans le char, on boirait le café à Delphes avant de visiter les ruines. Évidemment, j’avais omis de prendre en compte le fait qu’on était dimanche. Après avoir pris un bus quasi vide, nous avons découvert un village clos à 7 heures 45. Pas une terrasse, pas une boulangerie: pas de petit déjeuner. Seul un homme balayait la rue devant son bistrot et il nous a apostrophés avec un tonitruant κάλη μέρα, όλη μέρα! (kali mera, oli mera: good day, all day). Il nous a aussi évité une grimpette inutile en nous envoyant dans la bonne direction…

Après quelques mètres sur un trottoir (ils sont rares, c’est pour ça que je le mentionne) bordant un précipice au dessus de l’océan d’oliviers, on arrive devant l’entrée du musée archéologique de Delphes, fermé pour encore quelques minutes. On pousse donc jusqu’à l’entrée du site dont nous sommes les premiers visiteurs.

C’est alors que commence l’escalade car, comme de juste, le sanctuaire de Delphes s’étend sur une façade de montagne avec une ruine tous les deux virages. J’avais oublié combien ça grimpait quand je suis venue en 1975 avec ma mère et mon frère. Je me souvenais cependant de beaucoup de pierres et de soleil et de chaleur et de fatigue – et ça n’a pas changé! À part tout ça et la vue à t’en couper le souffle ainsi que des criquets de toutes tailles, il y a un reste de monument impressionnant: un bout de colonne en bronze torsadé d’une dizaine de mètres. Il s’agit de la copie réalisée en 2015 d’une partie d’un trépied surmonté de têtes de serpents qui fut façonné à partir de la fonte d’une partie du butin de Mardionos et offert par les grecs au dieu Apollon.

Comme d’hab, les plaques explicatives n’offent qu’une partie de l’histoire et les grosses pierres gardent secrètes leurs anecdotes. Il y a un genre de temple à colonnes doriques appelé Trésor des Athéniens et érigé pour commémorer la victoire de Marathon. Six colonnes partielles devant un tas de pierres taillées posées en rectangle est ce qui reste du temple d’Apollon Pythien, le fondateur mythique du sanctuaire. Il y a aussi une sorte de gros demi-œuf de pierre posé au milieu d’un tas d’autres pierres, appelé ὀμφαλός omphalos, littéralement nombril, qui, selon l’helléniste Marie Delcourt, “représente le nombril d’une femme enceinte qui a nom Gé”.

Beaucoup plus haut, il y a un théâtre dont les delphiens sont très fiers mais qui est de la gnognote comparé à celui d’Épidaure: 30 rangs ici contre 55 là-bas. En plus, l’accès en est interdit – ce qui est logique vu les millions de visiteurs qui défilent ici chaque année. Mais du coup, ça reste un tas de pierres bouffées par la végétation.

Tout en haut, il y a un stade, plus petit que celui d’Olympie mais avec des rangées de pierres tout autour pour s’asseoir. Je t’avoue, j’ai eu beaucoup de peine à atteindre ce sommet: mon palpitant avait choisi ce jour-là pour faire des siennes (rien de grave, juste emmerdant) ce qui me rend essoufflée au bout de dix pas et augmente ma température corporelle d’un bon degré, colorant mon visage de carmin. Sans compter qu’Hélios a décidé de se mettre à l’été: à 10 heures, il faisait 33°! Heureusement que le bus partait tôt, on a fait le plus dur à la fraîche, ou presque.

La descente fut pénible pour les genoux mais pas autant que sans l’onguent miracle aquis à Doxa. Notre première quête fut de trouver de quoi nous restaurer. Hélas, la cafétéria du musée est fermée le dimanche et un des trois distributeurs est en panne. Nous avons réussi à nous procurer deux briquettes d’un mélange de jus et nous sommes partis pour visiter le musée merveilleusement frais. Mais j’avoue que je n’y étais plus vraiment: j’ai admiré les bijoux en or artistiquement disposés autour de têtes de statues chryséléphantines (des plaques d’ivoire et d’os sur une armature en bois), un grand taureau fait de plaques d’argent ciselé, deux athlètes de pierre, un sphinx et une colonne de trois danseuses; dans la salle où se trouvent les frontons sculptés, je me suis assise face à un éphèbe nu pendant que Motoo photographiait comme un nippon. Juste avant la sortie, j’ai été interpellée par la face barbue d’un philosophe sans nom, contemplant la foule d’un air songeur et narquois.

De retour dans le village, nous nous sommes attablés à la première terrasse venue, surplombant l’immense vallée verdoyante où de nombreuses hirondelles volent d’insecte en insecte, de zig en zag. Le petit déjeuner ne fut pas franchement à la hauteur de mes espérances, les mezzes promis étant des tranches de jambon blanc, du salami, de la feta, des tranches de concombre et de tomate et 4 bouchées de tourte aux épinards. Mais, comme me le rapporta ma fille alors à l’école primaire: le meilleur assaisonnement est la faim.

Nous décidâmes de ne pas poireauter dans le village où seuls étaient ouverts les bistrots et les magasins de souvenirs et rentrâmes en taxi, le bus ne passant que trois heures plus tard. Arrivés fourbus et dégoulinants, nous commençames par une douche suivie d’un repas un peu plus substantiel. Puis nous avons bougé le char afin que ses ouvertures soient face au vent – et tant pis pour la vue. Enfin, nous nous sommes mis dans la piscine – quelques minutes. Le temps de faire baisser notre température, la horde d’adolescents allemands en voyage d’étude est rentrée elle aussi et, à force de cris et de bombes, a pris possession de l’eau. On est alors partis faire la sieste. Quand j’ai émergé, nous étions entourés de camping-cars français, quinze pour être précise. Ils ont doublé la population adulte du camping et fait grimper la moyenne d’âge à cinquante, en comprenant les ados allemands. Je suis souvent inquiète en voyant des personnes très âgées conduire: j’ai de la peine à croire que tous leurs réflexes sont encore performants. Mais en voyant sortir, voûté et tremblotant, un conducteur aux cheveux de neige qui venait de poser en marche arrière sa caravane pile-poil entre deux arbres, je pense que je vais réviser mon jugement.

Pour notre dernier souper grec, après une salade crétoise aux dacos (sortes de crisp-rolls durs) j’ai repris de la ratatouille alors que Motoo s’enfilait de l’agneau au citron si tendre que la viande se détachait à la cuillère de l’os. En partant, j’ai remarqué que quelques jeunes poussaient de hauts cris autour d’une tortue terrestre d’une vingtaine de centimètres: le serveur m’a alors appris qu’elles sont nombreuses dans la région.

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