Jackie’s last day

Notre dernière nuit en Ελλάδα (Grèce) fut heureusement reposante: entre la fatigue physique et les courants d’air bienvenus, on a pioncé comme des ours hibernant. Et dès potron-minet, notre routine de pacquage s’est mise en marche; c’est cool quand on voyage souvent avec la même personne: on acquiert un habitude qui fait que, même dans un espace confiné comme un camping-car, le rangement se fait sans heurts, une machine bien huilée. À dix heures, nous étions en route, ayant vidé le chiotte chimique, stocké en huile et olives et payé bien sûr nos nuitées.

En route, on a croisé une tortue eclaffée et évité une autre de justesse; on a regardé les pies traverser la route en rase-mottes. On a traversé l’origine du pain grec: des petits monts de blé blond comme des cheveux de scandinave. En sortant de l’autoroute, on a croisé une dépanneuse embarquant une vieille bagnole de flics, une Xara.

On s’est évidemment plantés une ou deux fois sur la route, le GPS, googgle et les panneaux routiers ayant des avis parfois divergeant. Le souci en Grèce, c’est que la route en ligne droite n’est pas nécessairement la plus rapide – mais toutes les routes sont quasi (sauf autour d’Athènes où ce n’est pas terroche) garanties d’être la fun.

On a rendu le char sans trop de tristesse: ce furent des vacances épuisantes. Georges, le loueur, nous a appris qu’il y a 2-3 ans des pierres se sont détachées du chemin surplombant la plage de Zantos, manquant de peu les baigneurs dessous. C’est pour ça que le chemin était “barré” d’une bande en plastique. Mais sans explications, elle a été complètement ignorée.

Et maintenant, j’écris ces lignes depuis l’avion. Est-ce que je t’ai dit que j’ai peur de voler – ou plutôt, de m’écraser? Écrire me distrait mais mon iPad vient de me dire que la batterie est faible. Alors salut, à tantôt sur FB. Bises.

Jackie’s day fifteen

En attendant l’avion, je vais te raconter notre journée d’hier, la dernière visite de notre aventure grecque 2019.

Comme il a fait étouffant durant la nuit malgré les fenêtres ouvertes, on s’est réveillés plusieurs fois et on a bâché à 6 heures. J’avais l’idée que, plutôt de se faire un petit-déjeuner express dans le char, on boirait le café à Delphes avant de visiter les ruines. Évidemment, j’avais omis de prendre en compte le fait qu’on était dimanche. Après avoir pris un bus quasi vide, nous avons découvert un village clos à 7 heures 45. Pas une terrasse, pas une boulangerie: pas de petit déjeuner. Seul un homme balayait la rue devant son bistrot et il nous a apostrophés avec un tonitruant κάλη μέρα, όλη μέρα! (kali mera, oli mera: good day, all day). Il nous a aussi évité une grimpette inutile en nous envoyant dans la bonne direction…

Après quelques mètres sur un trottoir (ils sont rares, c’est pour ça que je le mentionne) bordant un précipice au dessus de l’océan d’oliviers, on arrive devant l’entrée du musée archéologique de Delphes, fermé pour encore quelques minutes. On pousse donc jusqu’à l’entrée du site dont nous sommes les premiers visiteurs.

C’est alors que commence l’escalade car, comme de juste, le sanctuaire de Delphes s’étend sur une façade de montagne avec une ruine tous les deux virages. J’avais oublié combien ça grimpait quand je suis venue en 1975 avec ma mère et mon frère. Je me souvenais cependant de beaucoup de pierres et de soleil et de chaleur et de fatigue – et ça n’a pas changé! À part tout ça et la vue à t’en couper le souffle ainsi que des criquets de toutes tailles, il y a un reste de monument impressionnant: un bout de colonne en bronze torsadé d’une dizaine de mètres. Il s’agit de la copie réalisée en 2015 d’une partie d’un trépied surmonté de têtes de serpents qui fut façonné à partir de la fonte d’une partie du butin de Mardionos et offert par les grecs au dieu Apollon.

Comme d’hab, les plaques explicatives n’offent qu’une partie de l’histoire et les grosses pierres gardent secrètes leurs anecdotes. Il y a un genre de temple à colonnes doriques appelé Trésor des Athéniens et érigé pour commémorer la victoire de Marathon. Six colonnes partielles devant un tas de pierres taillées posées en rectangle est ce qui reste du temple d’Apollon Pythien, le fondateur mythique du sanctuaire. Il y a aussi une sorte de gros demi-œuf de pierre posé au milieu d’un tas d’autres pierres, appelé ὀμφαλός omphalos, littéralement nombril, qui, selon l’helléniste Marie Delcourt, “représente le nombril d’une femme enceinte qui a nom Gé”.

Beaucoup plus haut, il y a un théâtre dont les delphiens sont très fiers mais qui est de la gnognote comparé à celui d’Épidaure: 30 rangs ici contre 55 là-bas. En plus, l’accès en est interdit – ce qui est logique vu les millions de visiteurs qui défilent ici chaque année. Mais du coup, ça reste un tas de pierres bouffées par la végétation.

Tout en haut, il y a un stade, plus petit que celui d’Olympie mais avec des rangées de pierres tout autour pour s’asseoir. Je t’avoue, j’ai eu beaucoup de peine à atteindre ce sommet: mon palpitant avait choisi ce jour-là pour faire des siennes (rien de grave, juste emmerdant) ce qui me rend essoufflée au bout de dix pas et augmente ma température corporelle d’un bon degré, colorant mon visage de carmin. Sans compter qu’Hélios a décidé de se mettre à l’été: à 10 heures, il faisait 33°! Heureusement que le bus partait tôt, on a fait le plus dur à la fraîche, ou presque.

La descente fut pénible pour les genoux mais pas autant que sans l’onguent miracle aquis à Doxa. Notre première quête fut de trouver de quoi nous restaurer. Hélas, la cafétéria du musée est fermée le dimanche et un des trois distributeurs est en panne. Nous avons réussi à nous procurer deux briquettes d’un mélange de jus et nous sommes partis pour visiter le musée merveilleusement frais. Mais j’avoue que je n’y étais plus vraiment: j’ai admiré les bijoux en or artistiquement disposés autour de têtes de statues chryséléphantines (des plaques d’ivoire et d’os sur une armature en bois), un grand taureau fait de plaques d’argent ciselé, deux athlètes de pierre, un sphinx et une colonne de trois danseuses; dans la salle où se trouvent les frontons sculptés, je me suis assise face à un éphèbe nu pendant que Motoo photographiait comme un nippon. Juste avant la sortie, j’ai été interpellée par la face barbue d’un philosophe sans nom, contemplant la foule d’un air songeur et narquois.

De retour dans le village, nous nous sommes attablés à la première terrasse venue, surplombant l’immense vallée verdoyante où de nombreuses hirondelles volent d’insecte en insecte, de zig en zag. Le petit déjeuner ne fut pas franchement à la hauteur de mes espérances, les mezzes promis étant des tranches de jambon blanc, du salami, de la feta, des tranches de concombre et de tomate et 4 bouchées de tourte aux épinards. Mais, comme me le rapporta ma fille alors à l’école primaire: le meilleur assaisonnement est la faim.

Nous décidâmes de ne pas poireauter dans le village où seuls étaient ouverts les bistrots et les magasins de souvenirs et rentrâmes en taxi, le bus ne passant que trois heures plus tard. Arrivés fourbus et dégoulinants, nous commençames par une douche suivie d’un repas un peu plus substantiel. Puis nous avons bougé le char afin que ses ouvertures soient face au vent – et tant pis pour la vue. Enfin, nous nous sommes mis dans la piscine – quelques minutes. Le temps de faire baisser notre température, la horde d’adolescents allemands en voyage d’étude est rentrée elle aussi et, à force de cris et de bombes, a pris possession de l’eau. On est alors partis faire la sieste. Quand j’ai émergé, nous étions entourés de camping-cars français, quinze pour être précise. Ils ont doublé la population adulte du camping et fait grimper la moyenne d’âge à cinquante, en comprenant les ados allemands. Je suis souvent inquiète en voyant des personnes très âgées conduire: j’ai de la peine à croire que tous leurs réflexes sont encore performants. Mais en voyant sortir, voûté et tremblotant, un conducteur aux cheveux de neige qui venait de poser en marche arrière sa caravane pile-poil entre deux arbres, je pense que je vais réviser mon jugement.

Pour notre dernier souper grec, après une salade crétoise aux dacos (sortes de crisp-rolls durs) j’ai repris de la ratatouille alors que Motoo s’enfilait de l’agneau au citron si tendre que la viande se détachait à la cuillère de l’os. En partant, j’ai remarqué que quelques jeunes poussaient de hauts cris autour d’une tortue terrestre d’une vingtaine de centimètres: le serveur m’a alors appris qu’elles sont nombreuses dans la région.

Jackie’s day fourteen

Le lendemain, frais et dispos, nous plions bagages et quittons le Péloponnèse par voie d’un sublime pont suspendu un peu avant Patras. La route jusqu’à Itea ne diffère pas fondamentalement de celle d’en face et on retrouve les buissons de bougainvilliers roses, rouges et blancs qui semblent être la norme des bordures de routes grècques. Les coquelicots ont cependant disparus. Elle longe la côte nord du golfe de Corinthe, nous offrant la vue de ce qui fut notre point d’attache pendant près de deux semaines. Il y a encore de la neige sur la montagne dont je n’ai jamais su le nom mais, la température ayant pris l’ascenseur, je gage qu’elle aura fondu d’ici demain. Il me semble que la vue est plus belle de ce côté-ci car la topographie du Péloponnèse est faite de multiples monts qui semblent tantôt se chevaucher, tantôt s’emboîter, conférant une profondeur au paysage absente depuis l’autre rive.

Pendant environ la moitié du trajet, la montagne tombe directement à pic dans l’eau; les habitations sont plutôt rares. Puis, des anses se créént et des villages, voire des villes apparaissent dans leur creux. Depuis la route, on voit surtout leurs toits rouges entre les oliviers. On aperçoit aussi de plus en plus de petites îles verdoyantes et peu élevées au large de ces bourgs. Des plages de galets apparaissent avec quelques baigneurs dans l’eau turquoise et limpide qui s’est manifestement réchauffée. Quelques ronds flottant à la surface de l’eau trahissent l’existence de fermes piscicoles. On passe aussi près de trois énormes éoliennes à l’arrêt: Motoo postule que, puisqu’on est samedi, la demande en énergie est moindre. Avec les éoliennes, il y a fatalement aussi des pylônes de taille équivalente. Clairement, ici, la préoccupation des effets néfastes des ondes magnétiques n’a que peu d’influence sur les décisions d’implantation des lignes à haute tension au dessus des habitations. Dans mon petit monde étroit, je pense surtout que les fils électriques gâchent mes photos qu’elle traversent.

Après plusieurs virages embrassant un mini bras de mer agrémenté d’un assemblage de quelques planches faisant office de ponton, on découvre d’étranges constructions couleur rouille trouant la terre glaise d’un côté, rejoignant la mer de l’autre. Un peu plus loin, l’explication s’impose: il s’agit d’une carrière d’argile. Il est d’ailleurs facile de voir où les cargaisons partent: seul notre côté de la route est couleur brique; c’est sans doute l’explication d’une partie de la richesse de la ville d’Itea.

Nous bifurquons alors vers la gauche, à travers une immense oliveraie dont certains troncs trahissent un âge pluricentenaire. Puis, comme d’hab, on grimpe. De lacet en lacet, nous finissons par arriver au camping Delphi qui s’étend sur un grand plateau offrant une vue à couper le souffle sur cette véritable mer des oliviers, comme les propriétaires la nomment. C’est comme un delta à l’envers de cîmes: plusieurs “rivières” d’arbres se rassemblent en une gigantesque plaine juste avant la mer. Il y a des millions d’oliviers dont certains ont plus de 3,000 ans!

On gare le char devant la vue, sous des pins, entre une caravane danoise et une camping-car zürichois.

Après un souper où je me suis faite mal voir car j’ai donné la tête de dorade au chat qui en a foutu partout, on s’est couchés dans un char étouffant malgré les fenêtres béantes. Il y avait beau avoir beaucoup de vent, notre emplacement nous en mettait complètement à l’abri. Du coup, la nuit fut courte, d’autant que le bus reliant le camping à la ville passe à 7:20.

Jackie’s day thirteen

Ευχαριστώ παρά πολύ à Georges Pop pour son post à propos de la beauté méconnue du Λίμνη Δόξα, lac Doxa. J’ai mis un peu de temps à reprendre le clavier: la journée fut dense en beautés et merveilles, qu’elles soient naturelles ou humaines. Ça m’a épuisé: je me suis couchée à 20:00 et j’ai dormi plus de neuf heures presque de suite!

On a commencé tranquillou sur une route de montagne, ondoyant de vallée verdoyante en vallée rocheuse, la vue sur la mer étant remplacée peu à peu par des sapinaies dignes des Alpes. Au détour d’un virage, après une alignée de cyprès bordant la route, on est tombés sur un beau portail ouvert, surmonté d’une peinture murale de Marie aux main tendues vers le ciel avec Jesus enfant nous bénissant, ce qui nous a incité à faire une halte pour explorer. Nous avons été accueillis par quatre chats se prélassant sur un mur et qui furent ravis de mon obole de poisson salé, tu te souviens, celui qui ne se marie pas avec la salade de tomates, feta et concombre. Ayant ainsi payé notre droit de passage, nous avons découvert dans l’encadrure de la porte deux autels avec de multiples icônes ainsi que des petites auges remplies de sable pour tenir des cierges. À gauche, une sorte de four à pizza ouvre une gueule pleine de cendres d’encens. Quelques pas plus loin nous amènent vers des marches descendant vers un balcon naturel. Un trou à droite m’intrigue; j’en fais donc le tour et découvre une petite grotte contenant encore plein d’autres images pieuses au pied d’un Jésus en croix découpé dans une plaque de bois. Au fond, un petit couloir finit sur le trou qui avait attiré mon attention: l’entrée de lumière.

Le tout se trouve sur un promontoire naturel surplombant une immense vallée verdoyante ceinte de montagnes rocailleuses et parsemée d’oliveraies et d’autres cultures en plateaux; au loin, entre deux hauteurs, on devine la mer et les hauteurs de la région de Delphes, de l’autre côté du golfe. Ici et là, il y a quelques mécanismes en métal rouillé: une poulie accrochée à un cable descendant vers des toits en contrebas, une sorte de balcon accroché au dessus du vide dont l’accès est barré. Une grosse cloche solitaire tend une corde tentante mais je résiste et ne tire pas.

Un panneau fléché affiche: au merveilleux jour de l’anniversaire (traduction de googgle). Ma curiosité étant à son comble, je suis le sentier et débouche, un peu plus bas, dans une nouvelle grotte, un peu plus grande celle-ci. Après l’autel et ses sempiternelles icônes à gauche, je découvre émerveillée trois rois mages peints sur des silhouettes en bois apportant leur offrande à la sainte famille leur faisant face: le merveilleux jour de l’anniversaire, c’est la nativité, bien sûr! Tous les personnages sont façonnés sur le même topo, peints sur une silhouette en bois et disposés de manière à former un ensemble cohérent. En revanche, Jesus est posé dans une couffin rectangulaire en bois avec un couvercle transparent qui donne une étrange impression de cercueil: deux moments qui se confondent. Et tout cela est éclairé grâce à un trou en forme d’étoile dans le plafond. Magique de naïveté.

Reprenant la route, celle-ci devient de plus en plus sinueuse avec des lacets bien fermés; les oliviers ont laissé la place aux résineux et aux genêts qui, ensemble, colorent la végétation de vert printanier; l’argile molle devient craie rocailleuse. Après trois quart d’heures, nous traversons enfin un village où nous rencontrons tour à tour un camion-poubelle puis un tracteur. Des panneaux peints à la main nous indiquent que oui, on est bien dans la bonne direction. Et soudain, la large route goudronnée devient un large … chemin en terre! Googgle nous avait bien proposé un itinéraire bis qui rallongeait notre périple de 45 minutes – et bien sûr, on ne l’a pas pris. Du coup, on en a eu pour 30 minutes pour faire les 5.5 derniers kilomètres. On a débouché au bout d’une digue, le lac Doxa étant une retenue d’eau datant de 1990. Nous avons longé son rivage jusqu’à une grande étendue de terre finissant en bosquets de roseaux, les pieds dans l’eau, et d’où provenait un concerto de coassements et sifflements ponctué de stridulations grillonnantes. Quelques empreintes de sabots et quelques crottins attestent de la proximité de chevaux. À gauche, on devine une petite clairière derrière les arbres. À part celui provenant des animaux, il n’y a aucun son. Ça fait du bien!

Pour une fois, Motoo n’est pas impressionné: c’est un lac de montagne comme n’importe quel autre. Je ne sais pas: je ne skie pas, je reste donc en général en plaine. Un peu plus loin, une petite péninsule s’enfonce vers le milieu de l’eau; évidemment, il y a une église au bout. Mais avant d’y entrer, nous sommes abordés par un homme nous parlant dans un sabir anglais mêlé d’allemand, français et grec. Il se tient à côté d’un stand de petits pots de crèmes médicinales de sa fabrication. Il se dit acuponcteur, masseur et réflexologue. Je ne vois pas en quoi ça le qualifie pour la para-pharmacie mais je lui prends tout de même deux pots dont un pour soulager mon arthrite dans les genoux ainsi qu’un stick pour calmer les démangeaisons des piqûres de moustiques.

Nous entrons dans la chapelle dédiée à St Georges où nous retrouvons, dans l’abside, une peinture murale de Marie et Jesus enfant nous bénissant des bras ouverts. Devant eux se trouvent trois icônes représentant re-Marie-et-Jesus ainsi que deux barbus auréolés, un bien coiffé avec des lettres dans son auréole et tenant un livre, l’autre hirsute et tenant un rouleau. Mais ce qui m’intrigue est le geste qu’ils font de la main droite: coiffé touche du pouce l’annulaire et l’auriculaire alors qu’hirsute ne touche que l’annulaire, comme s’ils posaient pour d’étranges ombres chinoises. En levant la tête, je vois Jesus peint sur la coupole qui lui, a rejoint le pouce à son majeur. Que signifient ces signes? À part ces peintures, l’église est plutôt quelconque. Le merveilleux est dans la nature qui lui sert d’écrin. Des grosses libellules ziguent et zaguent en tous sens; un genre de gros lézard vert fluo se prélasse au bord de l’eau, une patte en l’air comme un chat distrait; d’étranges troncs noirs émergent de l’eau aqua-marine.

Nous disons au revoir à ce havre et repartons par une autre route, goudronnée celle-là et bordée de hauts pins et de sapins trapus. Parfois la roche s’ouvre d’une grotte comme un sourire de pierre. Plus loin, le flanc est comme strié de bandes horizontales, successivement vert pomme et pinède. Et toujours ces buissons de genêts jaunes comme autant de soleils sur terre. Il y a aussi parfois des bosquets dont les parties fleuries ressemblent à de la barbe-à-papa rose passé. J’ai pris des centaines de photos depuis la fenêtre du char, la plupart ratées ou peu intéressantes: comment transmettre la sensation de gigantisme à travers un rectangle de 7 centimètres sur 5?

De retour au camping, nous nous écroulons épuisés: je ne sais pas si c’est l’accumulation des kilomètres de notre circuit ou si les virages menant à Doxa ont été particulièrement fatigants, toujours est-il que j’ai été incapable d’écrire.

Jackie’s day twelve

À chaque fois que le camping-car à côté ferme sa porte, les oiseaux cessent de piailler, genre, on a éteint le micro! Rigolo. Moins rigolo: les avions qui passent toutes les 90 minutes à basse altitude, le dernier vers 22 heures et le premier à 5 heures du matin… Du coup, on est repartis avec le premier bateau à 8 heures.

Débarqués après une traversée sans incident, nous avons suivi la nationale bordant la côte nord ouest jusqu’au petit Campers Stop afin d’y repérer notre arrêt du soir. Puis on a poursuivi jusqu’à Diakofto d’où part, à 14 heures, le fameux petit train à crémaillère. On a deux heures à tuer et on a faim.

On a esquivé les trois terrasses à frappés/salade grecque pour marcher 50 mètres dans le village et tomber sur la πησταρια (psistaria, taverne à poisson) Kostas (en face de l’épicerie Kostas) qui nous fait visiter sa cuisine pour qu’on puisse choisir avec les yeux. C’est un joyau caché où on est posé sur une terrasse ombragée avec juste une petite brise, trois tables occupées par des autochtones jacassant dans leur merveilleux idiome roucoulant. Deux hommes disputent une partie de tric-trac en sirotant un café. Kosta a allumé la fontaine avant de nous servir du tzatziki, bien sûr, des papillottes de chou farci et la version indigène de la ratatouille: des légumes se délitant dans de l’excellente huile d’olives. On attend encore un ragoût d’agneau à l’artichaut et une dorade grillée. Heureusement que nous embarquons dans le dernier train: on n’aura que quinze minutes d’arrêt à Kalavrita, pas assez pour visiter ni secouer notre repas. Une grosse chatte tricolore s’est pointée en même temps que le poisson: j’ai enfin pu partager mes agapes avec un être reconnaissant. Elle n’a laissé que quelques os de la tête et là, ça fait dix minutes qu’elle digère en se léchant les pattes et le museau.

On attend ensuite sur l’unique quai, devant l’unique voie de la minuscule gare, que le train à crémaillère arrive pour un départ à 14:05. À 14 heures tapantes, un train arrive en gare – mais ce n’est pas le bon! Only in Greece… Notre train, ie, le même ayant largué quelques wagons, nous prend à 14:15.

Et franchement, ça valait largement le voyage. Nous sommes passés dans des gorges mystérieuses, auprès d’arbres aux branches tordues, entre des façades de pierre ocre, à travers des tunnels; nous avons suivi un cours d’eau tumultueux passant tantôt à droite, tantôt à gauche du train. Tout à coup, notre convoi a ralenti afin de traverser une taverne, si, si, traverser: le bâtiment est à gauche et la terrasse surplombant le ruisseau est à droite! Parfois les montagnes s’éloignent, offrant une vue plus dégagée sur un océan de cimes de jade avec, ça et là, un cyprès pointant son dard sapin. Après l’arrêt de Zachlopou, on a commencé à voir des champs de blé encore vert tendre ondoyant au vent comme des vagues.

Comme on a pris le dernier train en montant, on est redescendu tout de suite et, en discutant avec un couple français qui est monté à bord à cet endroit, on a appris que le village n’est pas aussi intéressant que le voyage. Qu’est-ce que je t’avais dit! En revanche, nous étions serrés comme des sardines pour la descente et, plutôt que de mitrailler le paysage, on a taillé le bout de gras avec nos voisins.

Et nous voilà à présent attablés sur la petite terrasse de notre halte dédiée uniquement aux camping-cars et située au bord d’une plage de galets au bout d’une route de bord de mer – ou plutôt, de golfe de Corinthe. Il y a un petit vent qui commence doucement à se faire frais, Motoo sirote une bière; on va sans doute souper ici – mais léger, ce coup. Et demain, direction le lac Doxa, toujours dans les montagnes.

Jackie’s day eleven

On a passé la nuit dans le camping – j’allais dire hôtel – le plus luxueux, le plus cher et le plus antipathique du voyage où, par défaut, on te parle en allemand. En revanche, il n’y a pas de PQ dans les chiottes: il n’y a pas de petites économies même dans les cinq étoiles. Et il est fréquenté en grande majorité par des retraités.

Nous ne nous sommes pas attardés et nous sommes partis en direction de Killini afin d’embarquer sur un ferry nous emmenant à l’île de Zante. Mais oui, tu connais: il y a une plage dans une crique accessible uniquement en bateau et il y a une grande épave rouillée sur le sable. Motoo voulait absolument y aller. On a donc pris cet énorme paquebot dont on ne remarque même pas qu’il est en train de manoeuvrer, encore moins naviguer. Une heure quarante plus tard, on débarquait dans un bouchon de voitures, bus, motos, camions, scooters et piétons s’engageant tous dans la même direction. On a pensé éviter la cohue en nous dirigeant vers les premières plages (à l’opposé donc de l’épave) afin de croquer dans une petite taverne. Hahahaha… En fait, après le port, il y a l’aéroport, puis une enfilade de bâtiments décrépis abritant toutes sortes d’échoppes, du bar à putes au bar à cocktails en passant par tous les souvenirs grecs possibles, et cela sur des kilomètres. J’avais repéré sur googgle une taverne au bord de l’eau dont on n’a jamais pu s’approcher à cause de la circulation. Rien à voir donc avec l’image d’Épinal de cette plage solitaire. Clairement, l’île est devenue la destination branchée des djeunes avides de selfies et de bitures pas chères. Heureusement, toute l’île n’est pas défigurée comme ça mais tous les villages que nous avons traversés ont leurs magasins de souvenirs et de dégustation d’huile d’olives. Mais, vu le peu d’oliviers que nous avons vu, je ne peux pas croire que ces dégustations soient d’un crû local.

Googgle nous a proposé une taverne loin de tout, perchée sur un mont, au bout d’un chemin. La vue était certes belle mais la nourriture était d’une banalité affligeante. De plus, on a été servis au son d’une soupe féminine pour adolescente prépubère en attente d’un prince, la chanteuse ayant cinq notes à sa tessiture. Bref, jusque là, on était plutôt déçus. Et puis, on est parti vers le sommet de la fameuse crique: la mer n’étant toujours pas de température nageable, il nous a semblé inutile de louer un bateau pour nous retrouver avec un troupeau d’autres touristes sur cette plage bien loin d’être déserte. Le chemin fut long et tortueux: Motoo remarquait justement qu’il ne s’attendait pas du tout à faire autant de route de montagne durant ces vacances. La végétation était jolie, les ruelles dans les villages étroites, les odeurs agréables mais ça ne “prenait” pas. Sans doute la fatigue qui s’est accumulée nous a empêché de nous ébaubir comme il se doit.

Arrivés au spot “vue sur la crique”, on a garé le char et on est partis, en tongs, sur un chemin de terre et pierres qui zigzague jusqu’à un surplomb. Tu me connais maintenant: après que d’autres promeneurs sur le retour aient indiqués qu’il y avait des passages où il faut s’accrocher avec les mains, j’ai fait demi-tour en laissant Motoo poursuivre pour faire les photos. C’est arrivée à mon point de départ que j’ai réalisé qu’il y a un petit balcon apposé au flanc d’où on voit parfaitement la crique: j’ai donc pu faire mes photos aussi.

De là, nous avons rejoint un camping pas terroche, sans wifi ni eau dans la piscine, mais qui nous abritera pour la nuit avant que nous ne reprenions le ferry à 8 heures – du matin. Douche, grosse salade et dodo à 20 heures!

Jackie’s day ten

Après la longue journée à Olympie, nous avons opté pour un camping à 800 mètres tenu par une femme grecque à la forte personnalité et sa mère francophone. On a bu un coup à sa taverna tout en discutant le bout de gras avec un couple de néerlandais bien sympathique. Et on est repartis le lendemain un peu tard pour aller un peu au nord mais sans but bien fixe, histoire de faire une pause dans les longues visites. On a traversé la ville de Pyrgos qui ne s’est pas encore remise de la crise: beaucoup de vitrines barricadées et beaucoup de postes de police. Puis, on a bifurqué vers la mer histoire de voir de quoi elle a l’air à Katakolon, le port d’où viennent les hordes d’américains en goguette. Celui-ci est situé dans la baie sud d’une pointe de terre et la route continue au-delà pour se perdre dans la nature.

C’est là que nous avons décidé de déjeuner de notre désormais traditionnelle salade rurale dont les ingrédients se transforment au fur et à mesure de nos achats au bord de la route. Aujourd’hui, je découvre que les mini darnes de poisson salé ne se marient pas avec les autres composantes de la salade: on ne réussit pas à tous les coups. Alors que nous mangions, un troupeau de moutons a descendu en bêlant le chemin au bord duquel nous nous étions arrêtés, seuls si je puis dire, sans berger ni chien. Motoo s’est empressé de les filmer, bien sûr. Curieusement, il y avait une chèvre parmi ces brebis. Et puis, après le café et alors que nous somnolions dans un silence absolu, un bruit épouvantable nous a assailli depuis le ciel: des avions de chasse se sont pris à faire du rase-mottes au dessus de nos têtes. Tu parles d’un réveil douloureux! Même les oiseaux se sont mis à piailler entre eux quand le calme est revenu.

Nous avons quitté ce paradis perdu en zigzagant sur des chemins de terre et de pierres, ceints des deux côtés d’inévitables oliviers et de pâtures fraîchement fauchées, au son d’une radio passant des mixes XXIème siècle de groupes éclectiques des 60’s et 80’s, autour d’un fil rouge funk. Un contraste étonnant entre le son et la vue mais très agréable. Le chemin est devenu de plus en plus cahoteux, de plus en plus buissonneux, avec de loin en loin des morceaux de bandes plastifiées accrochés aux branches en bordure. Pourquoi? C’est un mystère. Puis, petit à petit, des habitations cossues sont apparues, le chemin s’est fait plus plat, plus apprivoisé, les gros buissons fleuris rouges, roses et blancs ont réapparu et nous sommes retournés sur du goudron.

Nous avons alors visé le port suivant, sur la pointe suivante: Arkoudi qui surplombe une grande plage de sable fin. Mais décidément le temps n’est pas avec nous et la mer reste glacée. On s’est toutefois promené jusque vers les rochers là-bas au bout: qu’il est désolant de voir la quantité de détritus sur ce qui pourrait facilement être un magnifique endroit. En revenant, j’ai ramassé un verre et une bouteille en plastique pour les jeter dans la première poubelle venue; il n’y a pas de poubelle! J’ai fini par les laisser sur le comptoir du bar de la plage me disant que ces déchets provenaient sans doute de là. Le constat est déprimant: où qu’on aille, les gens laissent leurs détritus, les touristes comme les indigènes. Pourtant, il y a des containers et ils sont utilisés. Ils sont malheureusement rarement vidés et la merde des gens déborde et est emportée par le vent pour être déposée n’importe où.

Nous avons décidé de camper dans les parages et avons fini dans un camping de luxe. Je ne savais pas que ça existait: il y a une grande piscine, des douches avec un lavabo et miroir dans chaque cabine et une taverne avec une véranda vitrée non loin de laquelle nous nous sommes posés. Hélas. Car il est 22:45 et ça fait plus d’une heure qu’il y a de la musique grecque pour allemands (boum tchak boum sur une mélodie de bouzouki) qui m’empêche de même caresser l’idée de dormir. Et bien sûr, Motoo ronfle… Enfin, au moins, j’ai les cheveux propres.

Voyager en camping-car est une expérience intéressante: il y a une sorte de solidarité distante entre les camping-careux qui se manifeste par un signe de la main (Motoo appelle ça le signe secret) quand on se croise, voire un V de la victoire car oui, on est des winners; en même temps, on fait semblant d’être seuls quand on est garé, histoire de préserver et respecter l’intimité de chacun.

Jackie’s day nine

Après une bonne nuit sans histoires, nous mettons le cap sur Olympie, la ville des jeux antiques. Encore une fois le GPS, combiné à ce qui semble être une tradition grecque de ne pas indiquer clairement les accès aux sites prisés, nous envoie en balade autour de celui-ci et nous débouchons, à notre grande surprise, sur ce qui semble être le milieu du parc; en tous cas, le nombre de touristes ahuris se baladant le nez en l’air au milieu de la route nous incite à rebrousser chemin et nous taper une autre vingtaine de minutes pour retourner dans la cité moderne. Nous avons finalement trouvé un parking mais je ne pense toujours pas que c’était l’entrée: tous les panneaux explicatifs sur le site étaient à l’envers de nous, à l’opposé du “bâtiment” que nous regardions.

Nous avons commencé par le musée, riche de toutes sortes de céramiques et de bronzes, chaudrons fondus ou frappés, pièces d’armure et frontons en terre cuite. Tout un zoo miniature de chevaux, vaches et autres animaux informes est exposé sur six étagères; il ne manque que quelques enfants pour leur donner vie. On y trouve des têtes féminines ailées ainsi que des têtes d’aigle ou de griffon au bec béant ayant décoré des pots en bronze dont les pieds ciselés se retrouvent plus loin. Une plaque de bronze martelé montre Oreste tuant Clytemnestre alors qu’Egisthe s’enfuit. Plus loin, une série de sylènes priapiques en bronze se pavanent les mains sur les hanches, la bite en avant. Il y a aussi une grande collection de statues monumentales dont certaines sont en terre cuite, d’autres en bronze, la plupart en marbre. Zeus souriant, portant Ganymède sous son bras droit, semble narguer les tenantes de “me too”. Une statue de Nike reconstituée offre l’étrange vision d’une tête sans visage flottant au dessus d’un corps manchot dont la jambe droite est prise dans un tissu déchiré flottant dans un vent inexistant. J’ai aussi pu admirer le corps galbé d’un athlète décapité, vêtu en tout et pour tout de jambières et d’une cape sur l’épaule gauche, son petit zob pointant devant lui confirmant que oui, les participants des jeux antiques concourraient nus. Un magnifique marbre représente Hermès regardant tendrement Dyonisos enfant posé sur son bras gauche. Le bébé est tendu vers une grappe de raisin, aujourd’hui disparue, que le dieu porte au bout de son bras droit tendu vers le ciel. Il y a même des flacons en verre exposés (tu savais que le verre est apparu il y a 5,000 ans?!). Autour de la maquette du site, on a attendu une américaine demander à son guide: “mais, où couraient-ils le marathon?” Y en a des, j’te jure!

Après le musée, on est allé sur le site même qui est aussi immense que confus: des tas de grosses pierres taillées, parfois carrées, parfois en forme de disque, et des colonnes. On aurait volontiers loué les services d’un.e guide mais malheureusement, et contrairement à d’autres sites archéologiques, on n’en a pas trouvé: sans doute étaient-ils tous occupés avec les milliers de débarqués des villes flottantes arrimées au port de Katakolo. Toujours est-il que nous avons erré pendant une heure ou deux dans ce site, à l’envers du sens de la visite et sans saisir tous les détails de ce qui nous entourait. J’ai été frappée par les restes du temple dédié à Zeus: toutes ces immenses colonnes en morceaux à terre invoquent, dans mon esprit, un bébé dieu donnant une chiquenaude dans un tas de plots en bois.

Après avoir usé nos semelles parmi les pierres antiques, nous nous sommes offerts un café frappé glacé bien mérité puis nous avons visité le musée dédié à Archimède, un petit lieu créé par un fana du génie antique et qui a recréé ses inventions et illustré ses théorèmes. Honnêtement, après 4 heures de visites, les explications accompagnant les bidules exposés me sont passées loin au dessus de la tête: on n’a plus vingt ans… Mais on a acheté des livres concoctés par le fondateur du musée: je les lirai à tête reposée.

Jackie’s day eight

Nous avons tenté de visiter Koroni mais son urbaniste n’a pas pensé à la taille d’un camping-car quand il a dessiné ses ruelles étroites et sinueuses au XIIIème siècle. Nous avons débouché sur une minuscule placette où des buveurs de café grec attablés nous ont fait des grands signes “non, ça ne va pas plus loin et il n’y a pas de place de parc: faites demi-tour”. Motoo s’est exécuté comme un maître es conduite de camion et, après dix-huit manoeuvres, a renfilé le char vers la sortie, direction Methoni, la ville jumelle de Koroni (les deux villes étant surnommées conjointement les yeux de la république), donnant sur la pointe ouest du dernier doigt.

Alors là, c’est autre chose! La forteresse construite au XIIème siècle par les vénitiens, prise par les ottomans, reprise par les italiens, re-reprise par les turcs et conquise par les français au XIXème siècle afin de la donner à la république grècque émergeante, est immense bien qu’en ruines. J’en ai eu pour plus de 6,000 pas à la visiter (oui, j’ai un podomètre au poignet! Et alors?). Le mur – ou plutôt LES murs – d’enceinte sont d’une épaisseur d’au moins trois mètres et offrent 3 kilomètres de vue splendide sur la ville, le port et le large. On entre en enjambant des douves pour se retrouver entre deux façades immenses. On passe ensuite la deuxième porte de deux épaisseurs avec son trou au milieu au dessus de la tête par lequel les défenseurs pouvaient jeter toutes sortes de saloperies sur les assaillants. On imagine toujours de l’huile bouillante mais c’était une denrée bien trop chère pour l’expédier ainsi; on lui préférait donc des détritus et des pierres.

De l’autre côté, on débouche sur un grand espace d’herbes folles, le lichen se disputant avec le chardon, des pierres et des ruines de construction, des monticules et des restes de fortifications. Une colonne solitaire se dresse devant la porte; un peu plus loin un toit de pierres pyramidal suggère un bâtiment en contrebas; à droite se tient un long mur crénelé découpé d’un portail en ogive; à gauche, au loin, on aperçoit un immense mur ouvert de deux ogives et tout au bout, derrière une ultime porte, la bastide octogonale d’où on s’attend à voir une dulcinée à la fenêtre, en attente d’un héros.

Après un repas très quelconque dans le restaurant d’un hôtel situé au pied de la forteresse, nous sommes allés explorer les chutes de Polylimnio. La route passe dans des paysages de sapins et de craie avec des cyprès qui rompent la ligne d’horizon. Plus on avance et plus son bord est mangé par des buissons fleuris et des sortes de roseaux. On voit parfois un serpent ondulant à toute vitesse sur le bitume; d’autres fois, il n’ondule plus, éclaffé par une voiture qui n’a pas pu l’éviter. Ce ne sont de loin pas les seuls cadavres de la route: chats, lapins, hérissons, sont les victimes quotidiennes et anonymes des voyageurs. La route offre aussi de nombreux nids de poule; en France, on les nomme “trous en formation”, ici les trous sont carrément diplômés, de véritables nids d’autruches!

Le GPS est aussi un outil à surprises. Celui du char n’a pas dû être mis à jour depuis un moment comme on a pu le voir avec la route inconnue pour Elafonisia. Nous découvrons qu’il peut aussi nous indiquer des routes totalement impraticables sauf en tracteur voire totalement inexistantes. Pour atteindre les chutes, nous avons tourné pendant bien 40 minutes avant de trouver “l’entrée”, un chemin de terre menant à un parking en pente. De là, on entreprend une descente très raide d’une dizaine de minutes disparaissant dans des bois. À mi-chemin, une demi-douzaine de papillons jaune et vert nous accueillent et nous ravissent, voletant erratiquement de fleur en fleur, un beau prélude à ce qui nous attend plus bas. Arrivés au bord de l’eau, on est plongés dans un décor véritablement féérique: l’apparition d’un faune ou d’une elfe serait parfaitement logique. On est dans un environnement de clairs-obscurs au travers duquel une masse liquide opaline sourd et se déverse dans des cuvettes en escalier. Des promeneurs descendent péniblement des rochers en amont et m’assurent que la montée est rude mais en vaut largement la peine. Ayant pris mon baton de marche, je saisis aussi mon courage et m’attaque à la première pente. Le chemin ondule d’une rive à l’autre grâce à deux ponts en bois qui permettent de contempler du dessus la foison de verts et blancs de cet univers magique et mélodieux: une multitude d’oiseaux accompagnent de leur chant le doux grondement de l’eau chutant doucement sous nos pieds. Hélas, après la deuxième passerelle, je me rends compte que je ne pourrai pas aller plus loin: mon sens de l’équilibre est trop déficient pour envisager d’enjamber les pierres humides sans me casser la figure. J’envoie donc Motoo en éclaireur avec mon iPhone afin qu’il collecte pour moi les images que je ne verrai jamais en live. Je les découvre à l’instant: la couverture d’arbres se raréfie et expose au soleil une grande cuvette d’eau turquoise alimentée par une cascade. C’est là que les visiteurs viennet se baigner. En remontant, ahanant, nous croisons un jeune couple en tenue de plage, un gobelet de café frappé à la main, se dirigeant résolument vers ce coin de paradis: sont-ils des touristes naïfs ou des indigènes rompus à l’ascension? Je ne le saurai jamais.

Quitter cet eden nous a valu quelques frayeurs avec le char, à commencer par une pente de terre qu’il a eu bien de la peine à surmonter. Puis le GPS a décidé que ce serait la fun de nous envoyer sur 5 kilomètres de chemins terreux, herbus et bosselés. Évidemment, les premiers mètres sont bitumés, un bel attrape-nigauds, et une fois engagés, plus moyen de faire demi-tour! Mais bon, cahin-caha, Motoo nous a sorti de ce pétrin en 20 minutes chrono…

Nous sommes repartis vers la côte en espérant trouver une plage où passer la nuit à la sauvage. Voeux pieux: tous les chemins menant vers la mer étaient en terre, voire en herbe, et chat échaudé… Nous avons donc opté pour un camping des plus quelconques après une délicieuse halte brochettes de poisson dans une vieille taverne, tenue par une petite grecque de noir vêtue regardant deux postes de télévision simultanément: élections municipales.

Jackie’s day seven

J’ai dormi comme un loir! La combinaison du bruit de la mer et d’une température fraîche (et bien sûr, l’absence des suceuse de sang de la veille) m’ont permis de bien récupérer. Du coup, on est arrivés peu après l’ouverture des cavernes et, après avoir grillé la politesse à un car de teutons en goguette, on a embarqué pour une croisière sous-terraine dans un gigantesque dédale de stalactites et stalagmites . Les concrétions calcaires forment tantôt d’immenses pilliers couleur crème à la vanille, tantôt une dentelle couvrant le haut d’une chambre à travers laquelle on glisse sans bruit. Je m’imagine les premiers humains à oser explorer ces poches en pierre à la lueur de torches: l’émerveillement a dû se disputer la place d’honneur à la crainte; le mot “awe” traduit bien ce sentiment puisqu’il oblige à rester la bouche ouverte pour le prononcer et qu’il a généré “awesome” tout comme “awful”.

Le bateleur nous a largué à un débarcadère sous-terrain et nous avons encore eu une dizaine de minutes de marche à faire avant de retrouver l’air libre. Puis, reprenant le char, nous nous sommes dirigés vers la pointe sud du doigt du milieu qui abrite le phare de Tenaro et un temple dédié à Poseidon. Autant le dire tout de suite, comme souvent le chemin fut plus intéressant que le but. Je ne vais pas te regaver de descriptions des montagnes vertes et ocres dont les flancs plongent verticalement dans la mer ni des chardons d’un mètre dardant leur tête violette vers le ciel menaçant à travers des buissons de genêts dorés. Cependant, je te parlerai des maisons qui, sur la côte ouest de ce doigt, sont quasi toutes en pierre de taille, parfois de vraies ruines antiques, souvent des ruines tout court et, de plus en plus, des constructions neuves comprenant une tour à crénaux et tourelles d’angle et dont le toit est délibérément découpé afin de ressembler, partiellement, à une ruine. En voir une ou deux, ça passe; mais quand on traverse un village dont les nonante pourcent sont sur ce modèle, on pense immanquablement à Disneyland – d’autant que le trottoir est rouge et qu’il est bordé de lampadaires style années vingt. Un peu plus loin, on est passés à côté du village de Vathia, juste avant la presqu’île du bout du doigt: à gauche, le village neuf, à droite, le village antique – de loin, difficile de faire la différence tant le neuf essaie de faire vieux et antique.

Nous avons poursuivi jusqu’au bout de la route pour découvrir que le phare n’existe pas vraiment: c’est encore une antiquité et elle se trouve au bout d’un chemin tortueux à travers les cailloux et la guarrigue dont on ne voit pas le bout. Manifestement, avec mon mauvais état physique, je n’y arriverai pas et laisse Motoo explorer seul ce chemin. Je me dirige plutôt vers le bâtiment délabré en pierre que je vois à vingt mètres – et même pour ça, je suis contente d’avoir enfilé mes chaussures de marche et pris un bâton. Après avoir escaladé quelques éboulis, je suis parvenue à l’autel, en réalité une demi colonne sur lequel quelques pièces ont été laissées en offrande. Je rajoute mon obole et ma prière à Poseidon afin qu’il nous protège du mieux qu’il peut/veut. Motoo m’ayant rejointe, on reprend la route pour remonter en direction de Kalamata: tu sais, là d’où viennent les olives.

Toujours des paysages à couper le souffle dans une atmosphère fraîche, à l’ombre de la chaîne Taygète où culmine le mont Taleton enrobé aujourd’hui de nuages sombres. Dès que la route rejoint la côte, le paysage est apprivoisé et les habitations se font nombreuses et modernes. On approche de Kalamata dont on empruntera l’autoroute de contournement, juste derrière un autre camping-car vivement peint de papillons et de fleurs et qui arbore une plaque vaudoise! On perdra leur trace en allant abreuver le char chez le vendeur de diesel qui nous regarde avec envie: en Grèce, les camping-cars sont taxés deux fois, une fois en tant que véhicule et une fois en tant qu’habitation. Il nous recommande de visiter Pilos, sur la côte ouest du dernier doigt; ça tombe bien, c’est une de nos destinations pour y visiter les cataractes de Polylimnio. Mais auparavant, on va s’arrêter au camping de Koroni, histoire de remplir notre citerne d’eau fraîche et de vider nos eaux sales.