Jackie’s day eight

Nous avons tenté de visiter Koroni mais son urbaniste n’a pas pensé à la taille d’un camping-car quand il a dessiné ses ruelles étroites et sinueuses au XIIIème siècle. Nous avons débouché sur une minuscule placette où des buveurs de café grec attablés nous ont fait des grands signes “non, ça ne va pas plus loin et il n’y a pas de place de parc: faites demi-tour”. Motoo s’est exécuté comme un maître es conduite de camion et, après dix-huit manoeuvres, a renfilé le char vers la sortie, direction Methoni, la ville jumelle de Koroni (les deux villes étant surnommées conjointement les yeux de la république), donnant sur la pointe ouest du dernier doigt.

Alors là, c’est autre chose! La forteresse construite au XIIème siècle par les vénitiens, prise par les ottomans, reprise par les italiens, re-reprise par les turcs et conquise par les français au XIXème siècle afin de la donner à la république grècque émergeante, est immense bien qu’en ruines. J’en ai eu pour plus de 6,000 pas à la visiter (oui, j’ai un podomètre au poignet! Et alors?). Le mur – ou plutôt LES murs – d’enceinte sont d’une épaisseur d’au moins trois mètres et offrent 3 kilomètres de vue splendide sur la ville, le port et le large. On entre en enjambant des douves pour se retrouver entre deux façades immenses. On passe ensuite la deuxième porte de deux épaisseurs avec son trou au milieu au dessus de la tête par lequel les défenseurs pouvaient jeter toutes sortes de saloperies sur les assaillants. On imagine toujours de l’huile bouillante mais c’était une denrée bien trop chère pour l’expédier ainsi; on lui préférait donc des détritus et des pierres.

De l’autre côté, on débouche sur un grand espace d’herbes folles, le lichen se disputant avec le chardon, des pierres et des ruines de construction, des monticules et des restes de fortifications. Une colonne solitaire se dresse devant la porte; un peu plus loin un toit de pierres pyramidal suggère un bâtiment en contrebas; à droite se tient un long mur crénelé découpé d’un portail en ogive; à gauche, au loin, on aperçoit un immense mur ouvert de deux ogives et tout au bout, derrière une ultime porte, la bastide octogonale d’où on s’attend à voir une dulcinée à la fenêtre, en attente d’un héros.

Après un repas très quelconque dans le restaurant d’un hôtel situé au pied de la forteresse, nous sommes allés explorer les chutes de Polylimnio. La route passe dans des paysages de sapins et de craie avec des cyprès qui rompent la ligne d’horizon. Plus on avance et plus son bord est mangé par des buissons fleuris et des sortes de roseaux. On voit parfois un serpent ondulant à toute vitesse sur le bitume; d’autres fois, il n’ondule plus, éclaffé par une voiture qui n’a pas pu l’éviter. Ce ne sont de loin pas les seuls cadavres de la route: chats, lapins, hérissons, sont les victimes quotidiennes et anonymes des voyageurs. La route offre aussi de nombreux nids de poule; en France, on les nomme “trous en formation”, ici les trous sont carrément diplômés, de véritables nids d’autruches!

Le GPS est aussi un outil à surprises. Celui du char n’a pas dû être mis à jour depuis un moment comme on a pu le voir avec la route inconnue pour Elafonisia. Nous découvrons qu’il peut aussi nous indiquer des routes totalement impraticables sauf en tracteur voire totalement inexistantes. Pour atteindre les chutes, nous avons tourné pendant bien 40 minutes avant de trouver “l’entrée”, un chemin de terre menant à un parking en pente. De là, on entreprend une descente très raide d’une dizaine de minutes disparaissant dans des bois. À mi-chemin, une demi-douzaine de papillons jaune et vert nous accueillent et nous ravissent, voletant erratiquement de fleur en fleur, un beau prélude à ce qui nous attend plus bas. Arrivés au bord de l’eau, on est plongés dans un décor véritablement féérique: l’apparition d’un faune ou d’une elfe serait parfaitement logique. On est dans un environnement de clairs-obscurs au travers duquel une masse liquide opaline sourd et se déverse dans des cuvettes en escalier. Des promeneurs descendent péniblement des rochers en amont et m’assurent que la montée est rude mais en vaut largement la peine. Ayant pris mon baton de marche, je saisis aussi mon courage et m’attaque à la première pente. Le chemin ondule d’une rive à l’autre grâce à deux ponts en bois qui permettent de contempler du dessus la foison de verts et blancs de cet univers magique et mélodieux: une multitude d’oiseaux accompagnent de leur chant le doux grondement de l’eau chutant doucement sous nos pieds. Hélas, après la deuxième passerelle, je me rends compte que je ne pourrai pas aller plus loin: mon sens de l’équilibre est trop déficient pour envisager d’enjamber les pierres humides sans me casser la figure. J’envoie donc Motoo en éclaireur avec mon iPhone afin qu’il collecte pour moi les images que je ne verrai jamais en live. Je les découvre à l’instant: la couverture d’arbres se raréfie et expose au soleil une grande cuvette d’eau turquoise alimentée par une cascade. C’est là que les visiteurs viennet se baigner. En remontant, ahanant, nous croisons un jeune couple en tenue de plage, un gobelet de café frappé à la main, se dirigeant résolument vers ce coin de paradis: sont-ils des touristes naïfs ou des indigènes rompus à l’ascension? Je ne le saurai jamais.

Quitter cet eden nous a valu quelques frayeurs avec le char, à commencer par une pente de terre qu’il a eu bien de la peine à surmonter. Puis le GPS a décidé que ce serait la fun de nous envoyer sur 5 kilomètres de chemins terreux, herbus et bosselés. Évidemment, les premiers mètres sont bitumés, un bel attrape-nigauds, et une fois engagés, plus moyen de faire demi-tour! Mais bon, cahin-caha, Motoo nous a sorti de ce pétrin en 20 minutes chrono…

Nous sommes repartis vers la côte en espérant trouver une plage où passer la nuit à la sauvage. Voeux pieux: tous les chemins menant vers la mer étaient en terre, voire en herbe, et chat échaudé… Nous avons donc opté pour un camping des plus quelconques après une délicieuse halte brochettes de poisson dans une vieille taverne, tenue par une petite grecque de noir vêtue regardant deux postes de télévision simultanément: élections municipales.

Jackie’s day seven

J’ai dormi comme un loir! La combinaison du bruit de la mer et d’une température fraîche (et bien sûr, l’absence des suceuse de sang de la veille) m’ont permis de bien récupérer. Du coup, on est arrivés peu après l’ouverture des cavernes et, après avoir grillé la politesse à un car de teutons en goguette, on a embarqué pour une croisière sous-terraine dans un gigantesque dédale de stalactites et stalagmites . Les concrétions calcaires forment tantôt d’immenses pilliers couleur crème à la vanille, tantôt une dentelle couvrant le haut d’une chambre à travers laquelle on glisse sans bruit. Je m’imagine les premiers humains à oser explorer ces poches en pierre à la lueur de torches: l’émerveillement a dû se disputer la place d’honneur à la crainte; le mot “awe” traduit bien ce sentiment puisqu’il oblige à rester la bouche ouverte pour le prononcer et qu’il a généré “awesome” tout comme “awful”.

Le bateleur nous a largué à un débarcadère sous-terrain et nous avons encore eu une dizaine de minutes de marche à faire avant de retrouver l’air libre. Puis, reprenant le char, nous nous sommes dirigés vers la pointe sud du doigt du milieu qui abrite le phare de Tenaro et un temple dédié à Poseidon. Autant le dire tout de suite, comme souvent le chemin fut plus intéressant que le but. Je ne vais pas te regaver de descriptions des montagnes vertes et ocres dont les flancs plongent verticalement dans la mer ni des chardons d’un mètre dardant leur tête violette vers le ciel menaçant à travers des buissons de genêts dorés. Cependant, je te parlerai des maisons qui, sur la côte ouest de ce doigt, sont quasi toutes en pierre de taille, parfois de vraies ruines antiques, souvent des ruines tout court et, de plus en plus, des constructions neuves comprenant une tour à crénaux et tourelles d’angle et dont le toit est délibérément découpé afin de ressembler, partiellement, à une ruine. En voir une ou deux, ça passe; mais quand on traverse un village dont les nonante pourcent sont sur ce modèle, on pense immanquablement à Disneyland – d’autant que le trottoir est rouge et qu’il est bordé de lampadaires style années vingt. Un peu plus loin, on est passés à côté du village de Vathia, juste avant la presqu’île du bout du doigt: à gauche, le village neuf, à droite, le village antique – de loin, difficile de faire la différence tant le neuf essaie de faire vieux et antique.

Nous avons poursuivi jusqu’au bout de la route pour découvrir que le phare n’existe pas vraiment: c’est encore une antiquité et elle se trouve au bout d’un chemin tortueux à travers les cailloux et la guarrigue dont on ne voit pas le bout. Manifestement, avec mon mauvais état physique, je n’y arriverai pas et laisse Motoo explorer seul ce chemin. Je me dirige plutôt vers le bâtiment délabré en pierre que je vois à vingt mètres – et même pour ça, je suis contente d’avoir enfilé mes chaussures de marche et pris un bâton. Après avoir escaladé quelques éboulis, je suis parvenue à l’autel, en réalité une demi colonne sur lequel quelques pièces ont été laissées en offrande. Je rajoute mon obole et ma prière à Poseidon afin qu’il nous protège du mieux qu’il peut/veut. Motoo m’ayant rejointe, on reprend la route pour remonter en direction de Kalamata: tu sais, là d’où viennent les olives.

Toujours des paysages à couper le souffle dans une atmosphère fraîche, à l’ombre de la chaîne Taygète où culmine le mont Taleton enrobé aujourd’hui de nuages sombres. Dès que la route rejoint la côte, le paysage est apprivoisé et les habitations se font nombreuses et modernes. On approche de Kalamata dont on empruntera l’autoroute de contournement, juste derrière un autre camping-car vivement peint de papillons et de fleurs et qui arbore une plaque vaudoise! On perdra leur trace en allant abreuver le char chez le vendeur de diesel qui nous regarde avec envie: en Grèce, les camping-cars sont taxés deux fois, une fois en tant que véhicule et une fois en tant qu’habitation. Il nous recommande de visiter Pilos, sur la côte ouest du dernier doigt; ça tombe bien, c’est une de nos destinations pour y visiter les cataractes de Polylimnio. Mais auparavant, on va s’arrêter au camping de Koroni, histoire de remplir notre citerne d’eau fraîche et de vider nos eaux sales.

Jackie’s day six

Bref… Nous sommes repartis le lendemain en direction de Sparte afin, pensai-je, de rendre hommage au frère d’Agamemnon: Menelas. En réalité, nous n’avons rien trouvé qui honore le mari cocu mais, à quelques kilomètres, au pied de la chaîne de montagnes Taygète se trouve la citadelle bizantine Mistra, érigée, comme les Cathares le firent dans les Pyrénées, en continuité de la roche. Cela induit forcément beaucoup de grimpette et, après cette mauvaise nuit, je ne me sentais pas à la hauteur. Nous avons garé le char dans le parking le plus élevé et sommes entré par le portail du haut. Nous avons entamé la marche qui nous mènerait au sommet mais, après un tiers, j’ai bâché et ai laissé Motoo poursuivre seul l’ascension alors que je reprenais mon souffle et mes esprits assise sur une pierre. Un matou rouquin est venu me tenir compagnie, se couchant sans vergogne sur mes genoux, me laissant caresser ses tiques et gratter son cou pelé. Puis Motoo est revenur et nous sommes descendus cette fois en direction de la ravissante église byzantine de Sainte Sophie. De forme carrée avec des voutes en plein cintre, elle a une petite chapelle ajoutée à sa gauche où se trouvent les restes de jolies peintures murales représentant, entre autres, un Christ en gloire dans une mandorle sur l’intérieur de la voûte ainsi que, sur un mur, Marie sur son lit de mort. J’ai demandé au gardien où se situait Sophie dans la sainte famille et il m’a expliqué que Sophie n’est pas une personne mais la personnification de la croyance en dieu, sa connaissance, comme son nom l’indique.

Après Sparte, nous sommes “descendus” sur la plage de Dirou située sur la côte ouest du pénultième doigt et où se trouvent des cavernes de Diros que nous irons visiter demain. Là maintenant, on est garé au bord de la mer; j’entends les vagues qui s’écrasent à vingt mètres de notre char. J’ai filmé le coucher du soleil pendant 40 minutes, juste le soleil et le bruit du sac et du ressac.

Jackie’s day five

Nous avons passé la nuit sur un large quai à la sortie du quartier de Gefira afin d’être parmi les premiers à visiter le Kastro de la ville de Monemvasia situé sur une île-rocher atteignable grâce à une digue. Le-dit quartier ne peut être visité qu’à pied en passant par une porte dans le mur d’enceinte. Encore une fois, je suis frappée par l’ingéniosité des humains à défendre un caillou contre un envahisseur potentiel et éberluée d’apprendre que celui-ci a été l’objet de convoitises et d’attaques depuis le XIIIème siècle jusqu’à la 1ère guerre mondiale. Le rocher se dresse jusqu’à trois cent mètres au-dessus de la mer et ses habitants ont réussi à construire un mur de défense là-haut! La ville basse à ses pied est quant à elle aussi protégée par un mur d’enceinte surplombant la mer et rejoignant son frère au sommet. Un entrelacs de ruelles étroites borde les deux côtés du chemin central, emmenant le visiteur qui sur les remparts, qui au sommet. Après une enfilade de magasins de souvenirs et de tavernes, on débouche sur une place qui héberge une église orthodoxe, ouverte aux visites! C’est la première fois que j’en trouve une qui n’ait pas portes closes. À l’intérieur, elle ressemble à une église russe avec moins de fioritures. La vie de Jesus est dépeinte à l’aide d’icônes peintes sur le mur du fond, le centre étant une représentation de la Cène. La préposée a tenu à ouvrir une petite pièce afin que nous puissions admirer ce qui semble être leur trésor: une peinture à l’or sur bois de …. j’ai déjà oublié. J’ai été plus touchée par une minuscule chapelle, plus petite que moi, dédiée à Marie et contenant plusieurs petites icônes. Je ne sais pas pourquoi, les petits endroits me touchent, comme s’ils en appellent à moi-enfant.

Après une couple d’heures à arpenter le Kastro, nous reprenons la route pour aller sur l’île d’Elafonisos, au bout du deuxième “doigt” du Péloponnèse. Le chemin fut surprenant: pour une fois, nous avons voyagé old style, en suivant les panneaux indicateurs. Et pour cause: la route que nous avons empruntée ne figure pas encore sur googgle. Elle est pourtant magnifique, sinuant à mi-hauteur la côte rocheuse de l’est du doigt. Peu avant de prendre le ferry, nous nous sommes arrêtés pour restocker le garde-manger. Comme on choisit de préférence des mini-markets dans les villages ou les stands au bord de la route, on se nourrit pour trois fois rien: 2€ pour 4 courgettes, 2 poivrons, un concombre et 4 tomates! Et puis un pot d’olives, sans doute de l’année dernière puisque les arbres sont encore en fleurs.

Une vingtaine de minutes de ferry (dont dix de manoeuvres) nous amènent à l’île Elafonisos qui abrite un village de pêcheurs et un camping donnant sur la plage. Et quelle plage! Plusieurs centaines de mètres de sable blanc, fin et bouillant accueillent une mer calme, peu profonde, transparente et … glacée: on est encore en mai! Motoo s’en fiche; il trépigne comme un gamin à l’idée de mettre “son nez dans la mer plutôt que de l’eau de mer dans le nez”. Je ne le rejoins qu’après que le soleil de fin d’après d’après-midi ne me brûle suffisamment la peau pour rendre tolérable le bain bien trop frais.

Le camping est bien agencé et relativement bien achalandé malgré la pré-saison. En revanche, les moustiques sont déjà au rendez-vous et nous font passer une nuit misérable. On a dû rater quelque chose dans les préparatifs de nuit car, au petit matin, je découvre une bonne dizaine de suceuses collées à l’intérieur de la moustiquaire, cherchant à sortir! En bon buveur de bière, Motoo est couvert de piqûres, certaines grosses comme une piéce de vingt centimes. Quant à moi, j’ai passé une bonne partie de ma nuit à m’envoyer des claques au moment de m’endormir. J’ai même tenté de me couvrir entièrement d’un drap, jusqu’à ce que je découvre une de ces sales bêtes buzzant sur mon iPad…

Jackie’s day four

Nous reprenons enfin la route le lendemain, direction le sud, en faisant un crochet par Nafplio, la seconde capitale de la Grèce moderne. Je ne me lasse pas de ces couleurs olive et ocre avec, ça et là, des taches de rouge coquelicot, de jaune genêt, de rose églantier et de chardon lavande. Odeur résineuse de thym grillé, de cyprès rôti.

Nafplio se révèle être étonnamment jolie: c’est une petite ville dominée par un fort situé sur une colline surplombant le golfe Argolique. Il fut construit à l’origine par les vénitiens aux XIVème siècle, à l’époque où ils colonisaient Santorin (d’où son nom au consonances italiennes) et bâtirent le phare et le port d’Iraklion, en Crète (et sûrement plein d’autres ports). Puis l’empire ottoman prit le dessus en Grèce et compléta les fortifications sur la colline ainsi que sur un promontoire plus loin et la forteresse-île Bourdzi à quelques encablures au large du port.

La vieille ville au pied du fort est un croisillon de ruelles étroites et grandement fleuries, avec les inévitables tavernes repérables de loin par leurs tables aux nappes à carreaux attendant les convives au coin de la rue. Plusieurs boutiques vendant des chapelets se disputent les faveurs des croyants avec une nonne vendant des croix de bois en prêchant la bonne parole à l’entrée de la poste. Le quartier menant au fort a été construit au XIXème siècle pour accueillir les réfugiés fuyant le joug turc (si j’ai bien tout compris) car c’est ici que la résistance est née avec le libérateur Staïkopoulos et le premier roi de Grèce, Othon.

Après avoir arpenté de bas en haut le fort, il était temps de nous restaurer. J’ai découvert une nouvelle manière d’apprêter les αγγινάρες αλα πολίτα, coeurs d’artichauts à la Polita, servis dans une onctueuse sauce citronnée et chaude. Motoo quant à lui, s’est régalé d’un demi lapin en ragoût. Puis, nous avons repris la route longeant la côte à hauteur de falaise. De temps en temps, on trouve des petites “bastides?” avec un kiosque abritant des bancs avec vue sur la mer et les îles au loin. Puis, après Leonidio, village aux confins d’une vallée de cultures, nous avons bifurqué à travers une quantité inimaginable de montagnes. Nous sommes montés jusqu’à 700 mètres d’altitude où la végétation ressemble étrangement au Jura, s’il était pointu. Nous ne nous sommes pas toujours entendus avec le GPS; du coup, notre trajet s’est considérablement rallongé et nous ne sommes arrivés à destination qu’aux alentours de 19 heures.

Jackie’s day three

Un ennui mécanique nous a contraint à rester dans un camping au bord d’une plage de galets. Assise à lire au soleil de onze heure, mon attention est soudainement attirée par un flock of seagulls criaillant au loin sur la mer. Je mets enfin à profit les jumelles achetées il y a plusieurs années et rarement utilisées car régulièrement oubliées à la maison ou dans la voiture. Un pêcheur sur un bateau solitaire est en train de vider les entrailles de sa capture matinale et le courant les amènent plus loin, vers les mouettes ravies de l’aubaine qui en tapent la réclame à grands cris enthousiastes. Nous sommes dans une pinède et nous nous dorons au son de dizaines d’oiseaux célébrant, comme nous mais autrement, le retour du soleil.

Jackie’s day two

Après une nuit tranquille, on s’est réveillés tôt avec une petite pluie qui nous a accompagnés presque toute la journée. Je n’avais jamais vu pleuvoir en Grèce… Du coup, on a sauté la visite de Corinthe l’Ancienne et on est arrivés à Mycènes pour rendre hommage à Agamemnon. Son tombeau, situé au pied de la citadelle antique, est une vaste coupole souterraine, nommée tholos, avec une pièce ténébreuse et interdite partant à droite. Évidemment, j’y ai pris des photos au flash afin de découvrir ce qu’elle abrite. Je pense qu’il doit s’agir de chauves-souris car, bien que le fond soit net (et inintéressant), des formes floues traversent l’image, donnant l’impression que de folles Erinyes protègent la dernière demeure du héros.

Nous avons ensuite visité le musée abritant les reliques trouvées lors des fouilles. Nous avons opté pour un guide auditif mais déesse! que les explications étaient barbantes et longues. Il y avait entre autres plusieurs bijoux et armes en or et en argent, dont une grande couronne pointue. J’aurais aimé apprendre à qui appartenaient ces parures, quelle était leur signification, où elles avaient été découvertes. Je n’ai eu droit qu’à une longue diatribe sur l’artiste ayant réalisé la copie exposée (l’originial étant à Athènes), son pseudonyme, le nom de son fils (avec qui il ne faut pas le confondre) et le pseudonyme de celui-ci, les autres oeuvres qu’il a réalisées, …. bref, rien qui concerne Mycènes!

En sortant, on s’est dirigés avec un paquet d’autres touristes vers la porte des Lionnes dont la forme en pointe rappelle celle du tombeau d’Agamemnon. Les murs de la citadelle sont fait d’énormes blocs prêtant à croire à la légende qui voudrait que Persée, fondateur de la ville, ait réquisitionné l’aide des Cyclopes pour la construire. Nous ne sommes pas allés beaucoup plus loin: comme toute ville fortifiée, elle se situe sur une colline et la grimpe à midi avec les autres boeufs, sous la bruine, ne me tentait guère.

Nous avons donc repris le char et sommes partis en direction d’Epidaure avec l’idée de faire un arrêt dans une des (forcément) nombreuses tavernes que nous passerions. En réalité, le Péloponnèse n’est ni rocailleux, ni plat comme je l’imaginais (déesse sait pourquoi!); nous avons traversé au contraire une région montagneuse et verdoyante, à travers des oliviers en fleur, des orangers en fruit, des genêts et des cyprès, ainsi qu’une quantité d’autres flores dont je ne connais que l’odeur. En revanche, des tavernes, il n’y en a eu que peu, de préférence fermées à midi. Du coup, nous sommes allés jusqu’à Palaia Epidavros (Epidaure l’ancienne), située au bord du golfe de Saronique. La taverne repérée sur googgle comme ouverte était évidemment fermée jusqu’à 17:00… en revanche, celle d’en face nous a accueillis et nourris jusqu’aux oreilles. Moi qui vise l’abstinence de sucres lents et rapides, je me suis gavée de salade rurale et de gros poissons frits alors que Motoo a découvert les joies du σπετσοφαι (spetsofai), un genre de ragoût de saucisses campagnardes et de poivrons baignant dans une sauce tomate.

Pour digérer, nous nous sommes mis en quête du théâtre d’Epidaure. Mais comme rien n’est simple en Grèce et que les homonymies sont nombreuses, nous avons d’abord atterri, au bout d’un chemin étroit, au pied d’un petit amphithéâtre en ruines: “ancient Epidaurus little theatre”… Ayant retapé la bonne dénomination dans le GPS, nous avons repris en sens inverse la route qui nous avait menés à la mer et, 20 minutes plus tard, nous étions enfin à destination.

Comme toujours, ce qui nous intéressait se situe en hauteur mais la grimpette en valait largement la peine! Ce théâtre est incroyablement préservé et s’élève sur 55 gradins; plusieurs milliers de spectateurs pouvaient s’asseoir autour de la scène circulaire au centre de laquelle se trouve une sorte de galette en pierre. Mais la taille et l’état de conservation de ce bâtiment ne sont rien en comparaison de la stupéfiante accoustique. Un groupe de touristes, encouragées par leur guide, a frappé des main au centre puis en s’éloignant comme un éventail et le son produit était d’une clarté étonnante, chaque clap distinct de tous les autres. J’ai été m’asseoir au trentième rang et j’ai pu reconnaître la voix de Motoo resté sur scène parmi le brouhaha des autres « acteurs ». J’ai ensuite testé moi-même: quand on parle depuis le centre, la voix revient comme un boomerang mais sans écho, sans résonner – simplement amplifiée comme avec une sorte de micro magique. Stupéfiant.

Nous avons ensuite exploré le reste du site qui est en réalité la raison d’être du théâtre. À l’origine, un sanctuaire en l’honneur d’Asclépios (Esculape), le dieu guérisseur, accueillait les malades en quête de guérison. Il y a donc des ruines d’un hôtel, de temples, d’un stade et d’un incubateur où les malades, après s’être lavés avec une eau guérissante, se rendaient à travers divers couloirs de prières vers un dortoir où ils allaient incuber pendant la nuit et guérir grâce à leur rêves. Déesse sait ce qu’ils y buvaient…

Jackie’s day one

1er jour, dimanche 26 mai

Après avoir passé la nuit au camping du dauphin bleu, un peu après Corinthe l’antique, nous avons pris un petit-déjeûner tardif face au golfe: du miel et du pain (meli ke psomaki) avec un grand café metrio (moyennement sucré): on est vraiment en Grèce!

Puis, après 2 kilomètres, nous nous sommes arrêtés au bord de la route pour faire nos premiers achats grecs auprès d’un maraîcher dont on avait repéré l’étal la veille. À son grand bonheur, nous avons rempli notre garde-manger de laitue, tomates, poivrons, oignons rouges, ails nouveaux, concombre, feta fraîche, origan en boutons, pousses de câprier en conserve, un énorme pot de miel de ruche et une petite bouteille de raki, des abricots et des pommes. Sa fille, qui jouait dans un coin sur un guiguelet électronique et le voyant prêt à découper un morceau de feta pour nous le faire goûter, est soudain apparue à ses côtés pour en réclamer un bout aussi. Puis, alors qu’elle assistait Motoo dans le transvasement de nos achats à notre char, une camionette s’est pointée pour livrer des miches tièdes et odorantes dont j’ai évidemment ajouté un spécimen à notre liste de courses. Il ne manquait que le yaourti et le café pour compléter notre garde-manger hellène.

Nous sommes repartis dans l’autre sens et, après avoir réussi à programmer notre GPS pour éviter les autoroutes, nous avons enfin trouvé l’ancien pont enjambant le canal de Corinthe. C’est vraiment impressionant, cette gorge coupée dans nonante mètres de haut de roche, comme si un ciseau gargantuesque avait glissé dans un épais tissu rocailleux. Le pont est d’ailleurs triple avec une voie unique dans chaque sens et une passerelle entre d’où on peut voir le départ des tarés qui se jettent dans le vide au bout d’une corde. On a aussi admiré un joli deux-mâts approcher sereinement du golfe De Corinthe puis naviguer sous le pont pour rejoindre le golfe Saronique.

Nous sommes repartis en direction du lac Vouliagmeni situé à la pointe ouest de l’isthme. En chemin, au détour d’un virage de la route de montagne, nous avons repéré une taverne perchée au haut d’un escalier taillé dans une sorte de grosse amphore qu’un dieu aurait négligemment laissé tomber. La carte nous proposait une salade rurale, traduction littérale de χωριάτικη (choriatiki) pour décrire ce que nous appelons salade grecque. Deux chiens se promenaient nonchalamment entre les tables, espérant sans doute quelque délicatesse, relique du festin des clients du dimanche. Motoo ayant opté pour des côtelettes, on aurait pu faire leur bonheur mais ce n’était pas du goût du serveur qui a tenté de les chasser. Ils se sont rabattus dans des platebandes qu’ils ont creusées afin de se fabriquer un lit frais où faire la sieste.

Au moment de repartir, le marche-pied a refusé de se rétracter! Du coup, après que Motoo eu rabattu tant bien que mal l’engin récalcitrant au moyen de dock tape, nous nous remîmes en marche au son de l’alarme qui nous a accompagnés jusqu’à notre destination…

Le lac est joli comme tout et on a trouvé une mignonne petite plage au bord d’un grand parking de terre où quelques camping-cars étaient déjà stationnés. On y a donné rendez-vous au M. Bricolo de la compagnie de location afin qu’il nous dépanne le marche-pied. En attendant qu’il nous rejoigne, nous avons poursuivi la route jusqu’à son bout. En chemin, nous avons admiré la fontaine d’Hera puis nous avons continué jusqu’au site archéologique Heraion qui borde le phare du cap Melagkavi surplombant une petite crique où se prélassaient au soleil de jeunes grecques bronzant. J’avoue avoir été plus impressionnée par les paysages où les falaises sauvages se disputent avec les flots azuléens que par les vieilles pierres anonymes.

Île de contrastes

Après et avant rénovation – ou avant et après faillite

Bon, je vais vous raconter aussi.

Curaçao est bipolaire. Avec les dizaines de raffineries autour de l’immense lagon au centre de la ville principale (quand je dis “immense”, un pétrolier peut y cheminer et laisser largement la place à plein d’autres bateaux…), il y a forcément tout un tas d’habitants super riches, de préférence blonds. Et forcément aussi, il y a une tripotée d’esclaves libres pour faire tourner tout le reste. On est loin des Seychelles avec sa société “colour-blind”. On rencontre aussi pas mal de clodos blancs venus du temps où le passeport néerlandais garantissait une entrée libre dans l’île et qui, n’ayant pas le goût ou les capacités pour le travail, se sont installés sur les trottoirs, invectivant le ciel une boutanche à la main.

Willemstad, la capitale, reflète aussi la dualité de l’île: ses quartiers hyper cossus fréquentés par les touristes et les boutiques de fringues côtoient sans gêne les rangées de baraques de toutes les couleurs bordant des rues trouées de nids de dindes (les poules sont trop petites..). Le quartier où nous résidons est bobo à souhait. Il borde le rivage rocailleux de belles maisons aux toits pointus et aux boiseries peintes de blanc. Néanmoins, en raison d’une décennie ponctuée de faillites à la fin du XXème, une habitation sur trois est en ruine, les autres ayant clairement été rachetées et rénovées récemment. C’est ici qu’on trouve des boîtes de jazz et de lounge music; ici qu’on mange fusion ou végétarien; ici aussi qu’il y a un marché de fruits et légumes bordant le canal où on peut faire ses courses sans sortir de la bagnole, les vendeurs tendant des sacs contenant trois mandarines ou deux poivrons aux chauffeurs roulant au pas.

Contraste encore entre une terre couverte de verdure mais où, aux dires des habitants, rien ne pousse. Les cocotiers ne manquent pas mais je n’ai pas vu de noix au marché. Les cactus sont légion mais je n’ai pas vu l’ombre du bouteille d’alcool de cactus (ça sert à ça pourtant, non?). Ils cultivent bien l’aloe vera mais en toute petite quantité. J’ai bien l’impression que toute la nourriture est importée 🙁

Puisque la richesse de l’île s’est faite autour du raffinage, rien d’autre n’a été investi – à part le tourisme, bien sûr.